samedi 13 juillet 2013

Sur le bateau, portraits.














Une jeune fille est assise quelques bancs plus loin, sur le pont. Elle s'offre au soleil. Ils quittent le port et le vent se lève un peu. La jeune fille sort alors une écharpe légère de son sac. Une de ces écharpes qui sont un souffle de tulle et n'existent que pour ajouter la petite touche subtile à sa tenue. La jeune fille n'arrive pas à se décider : un tour, deux tours, trois tours autour du cou ? Elle fait trois tours avec un nœud savant. Non, cela ne va pas, ce sera deux tours finalement, avec les pans qui flottent au vent. Elle n'a pas vu que l'étiquette blanche de l'écharpe dénote de façon presque obscène dans ce savant montage. Elle se passe la main dans les cheveux. On dirait une publicité pour Frank Provost ou Pantène. Ses cheveux sont magnifiques, brillants et souples. Ils tombent en cascade et glissent dans ses doigts. Visiblement elle voyage seule et s'ennuie. Elle tournicote une mèche avec un doigt et s'occupe en pianotant sur son portable. La jeune fille est très jolie et le sait, et il y a un petit « je ne sais quoi » de trop pensé, un manque de spontanéité qui gâche le tableau. Elle prend une pose étudiée, le dos bien droit et la main sous le menton pour mettre en valeur son profil qui est parfait. C'est le Sphinx qui regarde au loin l'Atlantique. 

 Plus loin une famille Le Quesnoy* profite des joies de la traversée. La maman, cotillon simple et souliers plats, les prend en photo à tour de rôle. Le petit troisième, un beau petit garçon de quatre ans, prend la pose et mimique son grand frère en tous points. 

 Devant elle, une jeune femme assez lourde et un peu vulgaire, avec ses deux petites filles. Le grand-père, pipe et catogan gris, un peu soixante-huitard attardé, les accompagne. Des cheveux gris frisotent autour de la tête et refusent la discipline. Les petites filles ont un air dépenaillé et vaguement sale. Elles courent pieds nus sur le pont. La plus jeune possède un visage déjà très individualisé. Rousse avec une grande bouche, elle sera probablement une adolescente assez disgracieuse mais aura plus tard, si elle évite l'écueil de la vulgarité, un visage sur lequel on se retournera. Aucune annonce ici de la joliesse de la jeune fille au foulard, mais l'amorce d'un visage à la Jeanne Moreau ou à la Fanny Ardent. Un visage typé et qui ne répond à aucun des canons de beauté classique. 

 La famille Le Quesnois se prépare au débarquement. Tout le monde remet son sweat Gap et maman leur donne un petit goûter sous l'œil attendri des voisins. L'autre maman et les fillettes descendent vers la sortie. Le Sphinx a disparu, la femme ne la trouvera pas à son grand dépit car elle était curieuse d'en savoir plus : quelle était sa silhouette ? qui l'attendait ? Elle la cherchera des yeux sur le quai mais la jeune fille gardera son mystère et elle ne la reverra pas.
 
*La vie est un long fleuve fleuve tranquille  


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