jeudi 21 février 2013

La goutte d'eau

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  Une goutte d'eau se forme à la commissure de la lèvre. Elle grossit, hésite et finalement commence une lente descente vers le menton. Prisonnière sur le fauteuil du dentiste, impuissante, la femme ne peut la chasser.

  Elle la chatouille. Mais elle la distrait aussi des agissements du dentiste. Le frôlement de la goutte est insupportable, comme une petite mouche qui agiterait ses fines pattes sur la peau. Elle hésite à lever la main pour effacer l'importune. Elle risque de heurter le plateau et, dans l'espace encombré, de bousculer les instruments. La goutte atteint la ligne de la mâchoire et dévale gentiment le long de son cou. Une deuxième importune s'est formée sur la joue et suit le chemin de la première. Les frôlements deviennent infernaux mais elle résiste. Puis elle se décide. Et alors qu'elle va lever la main, les doigts du dentiste écrasent la deuxième importune et font cesser une partie de son tourment. Après l'aspersion glacée de l'hydropropulseur-éclabousseur, les doigts du dentiste sont doux et chauds sur la peau.

  La première goutte s'est perdue dans le col de son pull de laine. Le tourment est terminé. 

 « Mordez ! » Ignorant des divagations de sa patiente, le dentiste continue son office. Distraite, elle ne l'entend pas. « Mordez ! » répète-t-il à nouveau.


 

 

 

 

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vendredi 1 février 2013

La vieille mendiante

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Il a gelé cette nuit. Elle s'est bien emmitouflée mais malgré le manteau, l'écharpe et les gants, elle a froid. 

Devant les portes du marché couvert, une vieille femme tend la main. Un fichu sur la tête, un manteau gris râpé sur le dos, elle est assise sur les pavés glacés. Les gens passent sans trop la voir. Ils ne le font pas forcément exprès. On s'habitue et on devient si vite indifférent à la misère. Il y en a de plus en plus dans la rue et on ne sait jamais ce qu'il faut faire. Ces mendiants ne vont-ils pas aller boire les quelques euros qu'on leur donne ? Font-ils partie de ces bandes de tziganes à la mendicité organisée ? Et puis, s'ils sont jeunes, on se dit qu'ils pourraient travailler.

Mais, cette femme, là, aujourd'hui n'a certainement pas choisi d'être dans la rue par ce froid glacial. Femme, étrangère et vieille, elle ne profite sûrement pas du système. Laissée pour compte de notre monde difficile fait pour les battants, elle a échoué là et son niveau d'exigence de la vie est maintenant proche de zéro.

Il fait vraiment très froid et elle va chercher à la mendiante un chocolat chaud. Lorsqu'elle ressort du marché, après ses courses, la vieille femme la reconnaît. Elle a essayé de passer vite car elle ne sait pas quoi faire. Puis elle entend « manger ». Alors elle va lui acheter quelque chose de chaud à la boulangerie proche. Elle lui dit quelques mots avant de repartir bien vite se réchauffer.

Elle se console de son impuissance en se disant qu'elle a peut-être procuré à cette pauvre vieille quelques minutes de bien-être dans la journée. Elle passe devant un arabe en djellaba blanche qui psalmodie à genoux des « as-salam 'alëkums » et puis aussi devant une autre vieille femme en noir qui tend la main courbée vers le sol.
Elle ne s'arrête plus et rentre chez elle.

Photo du blog de Mina, taillée pour faire la manche ou qui en moi mendie ?

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