jeudi 31 mars 2011

La vieille dame du marché

 

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Pas de fleurs samedi pour décorer la maison.

La vieille dame qui faisait de si beaux bouquets avec les fleurs de son jardin n’était pas là. Il paraît qu’elle a eu un AVC il y a trois mois, pendant l’hiver. Elle est restée trois jours seule avant qu'on ne la trouve. C'est triste.
Elle avait une grande tresse grise dans le dos, des mains toutes striées et calleuses. Sa vieille dame du marché était gentille, dans le genre bougon et parlait de temps en temps de ses petits enfants. Elle faisait des bouquets avec tout ce qu'elle trouvait dans son jardin. Avec elle, on suivait les saisons en ayant l'impression d'en avoir un. Elle emmêlait des fleurs et des feuillages qu’on ne trouve pas chez les fleuristes. Cela lui rappelait l’enfance et le jardin de sa grande tante. Elle les vendait dans du papier journal et elle lui en achetait quelquefois trois ou quatre à la fois tellement ils étaient tentants.

Elle s'était dit qu'elle irait un jour voir son jardin, elle l’y avait invitée. Il ne faut jamais remettre au lendemain ces choses-là. Au moins grâce à ce billet elle a l'impression qu'elle vit encore un peu. Elle ne sait même pas son nom.
C'était sa vieille dame du marché.

 

 

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L'expo Monet de cet hiver

Monet

24 janvier 2011, l’expo Monet du Grand Palais…
 
 
 Il fallait l'avoir vue, c'était celle qu'il ne fallait pas manquer, unique, exceptionnelle, qui ne se répètera pas avant trente ans. Il fallait y aller, sous peine de croupir dans une ignorance crasse de provinciale. Alors elle prend ses billets coupe file (provinciale, mais quand même !), ameute quelques étudiants assoiffés de références à citer aux concours et se dirige vers la capitale aux mille lumières.


Les billets sont pour 19h30, il fait froid mais il ne pleut pas. C'est le dernier jour, l'expo ferme ses portes ce soir. Une file interminable, plusieurs centaines de mètres, s'étire le long des bâtiments. Ce sont les visiteurs de dernière minute, les impulsifs, les imprévoyants, les inconséquents, ceux dont internet est en panne, bref, ceux qui espèrent un miracle. Et il en faudra un, de miracle, pour qu'ils puissent rentrer.

19h. Déjà la queue des visiteurs avec billets pour 19h30 se forme. Elle a bien fait d'être en avance (par hasard à vrai dire). Le service d'ordre est bien en place, pas question de resquiller, de jouer les distraits impénitents : les impétrants sont remis gentiment mais fermement dans le droit chemin et dans la bonne queue. Tout cela sous le regard narquois de ceux qui attendent (elle au premier rang) sagement l'autorisation pour bondir vers la terre promise, le Saint Graal, vers Monet superstar. Ses étudiants sont en retard, ne voulant pas, sans doute, perdre une minute à étudier les constantes des algorithmes ou le plan de sauvetage des banques de la dernière crise financière.

 19h35. Nous sommes toujours à attendre. Dans la file on discute un peu, entre futurs privilégiés de la culture : « Il parait que les cadres sont d'époque, mais certains très laids... Avez-vous vu celle de Gauguin à Londres, il parait qu'elle était superbe ?... » (là, elle se la joue un peu car elle y est allée)... Elle admire les bâtiments, c'est beau, simplement beau. De cette beauté universelle, qui vous plonge dans une émotion esthétique et qui ne dépend ni de votre condition sociale ni de votre culture générale, la promesse d'un bonheur partagé*. Mais n'est donc pas ce que toute cette foule attend de l'expo qui se fait tant désirer ?
 Ses étudiants arrivent enfin. Elle les fais passer discrètement avec elle afin qu'ils ne se fassent pas huer par ceux qui attendent.

 19h40. Les vigiles les laisse passer. A la sécurité, le garde est trop occupé à plaisanter avec sa fille et ses amis pour prêter attention à son petit couteau Laguiole qui dort au fond son sac.
 Ils sont enfin dans les salles. Première impression : la foule, du monde devant les tableaux, devant les textes affichés aux murs, des gens partout. Impossible d'aller et venir à sa guise. Elle essaie de se repérer, de se raccrocher au peu qu'elle connait sur Monet. Ah, ici un tableau de St Adresse, puis la Normandie toujours et toujours. Elle est en terrain connu. Puis Belle Isle, le hameau de Domois. Ses tableaux en cadre champêtre qu'il a eu tant de mal à faire accepter. Là, quatre vues de la Tamise exceptionnellement réunies. Des tableaux du monde entier, du Tate, de Chicago, du Met, de NY, etc. d'Orsay bien sûr, mais aussi plus simplement de Lille et plus exceptionnellement de Moscou. La vue se brouille tellement il y en a. Trop de Monet tue Monet.
Et toujours cette foule qui se presse... Elle a du mal à ressentir cette émotion qui l'a saisie tout à l'heure devant les bâtiments du Grand Palais.
Mais qui est elle, elle, après tout, pour critiquer ? Pour avoir cette envie iconoclaste d'enlever les toiles de leur cadre et de les accrocher tout simplement par quatre clous sur un mur, seule, sans personne autour.
Non décidément, ces grandes expositions ne sont pas pour elle. Impossible de déguster, de savourer chaque bouchée. Elle voudrait de la grande cuisine et on lui propose de la restauration rapide. Une orgie, alors qu'elle voudrait un dîner aux chandelles.
Et pourtant, c'est possible de savourer par petites touches, et sans être parmi les privilégiés qui ont eu droit aux visites privées.
Elle a eu ces émotions en allant au musée Marmottant qui, lui aussi, avait son expo Monet. Le musée est dans un ancien pavillon de chasse assez petit pour qu'on s'y sente chez soi, meublé légèrement en style empire d'époque. C'est assez intime pour avoir l'impression d'être en visite chez un (très) riche oncle. Et là, on peut vraiment déguster les œuvres du peintre à petites doses, tourner, revenir, s'appesantir sur une toile qui vous touche, passer d'une meule à l'autre, retourner comparer les nymphéas...
Et puis, luxe du luxe, là bas, elle a vu « Impression, soleil levant » cette toile de qui presque tout est parti, cette toile connue dans le monde entier, inestimable, que le musée a refusé de prêter à l'expo qu'elle vient de voir. Hé bien, cette toile, elle l'a eue pour elle toute seule pendant dix minutes et pendant ces quelques instants uniques a eu alors le temps de se l'approprier . Ce n'est pas le must du must, cela ?

 Mais encore une fois, qui est elle, pour oser critiquer ?
Tout cela est bien sûr très subjectif mais dans trente ans, lors de la prochaine expo exceptionnelle et unique de Monet, il n’est pas certain qu'elle fasse le déplacement !

 21h30. Ils quittent les lieus. Dehors commencent à rentrer les invités du cocktail de clôture : mécènes et célébrités... Ses étudiants ont reconnu Ingrid Betancourt... elle, comme d'habitude, ne voit personne.
C'est une autre danse qui commence.

 
 *Stendhal


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La Forestière, sa maison

LaForestièreJuin2004 bis 028


 La vente a été signée ce matin... La Forestière - *** - ***** : une simple adresse postale qu'une autre famille va utiliser maintenant. Mais aussi des souvenirs, de bons souvenirs. Des moments partagés... les enfants qu'elle y a vu grandir, une région attachante, beaucoup de gâteaux d'anniversaire.... des moments uniques aussi et qui ne se renouvelleront jamais : pelleter dans la nuit froide, la neige qui tombe sans arrêt, alors que tout le monde est couché,  se cueillir un bouquet de muguet du jardin, courir dans les bois et croiser une biche...

 Nostalgie ? Pincements au cœur ?

 Non, car elle s'est aussi souvenue de ces longues soirées solitaires et glacées, des milliers de litres fuel qu'engloutissait la chaudière, de ses tulipes qui ne fleurissaient que fin mai et qu'après douze ans dans le Haut-Doubs, elle laissait beaucoup de connaissances mais une seule amie.

La vente a été signée par un beau matin de printemps. Un de ces premiers matins du printemps où un petit je-ne-sais-quoi est porteur de toutes les espérances, où l'air est pur et frais et vous sentez que tout est possible. Les maisons appartiennent à ceux qui les regardent et ceux qui les vivent, La Forestière ne lui appartient plus depuis qu'elle l'a quittée, depuis plus de deux ans. Et les souvenirs sont dans sa tête et dans son cœur, pas dans la pierre. Alors, sans regarder en arrière, elle est repartie vers sa vie sur Besançon, vers son boulanger à deux minutes à pied, vers sa Citadelle et vers ses enfants, devenus de jeunes adultes maintenant, et dont elle est si fière.

 

 

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