jeudi 31 mars 2011

L'expo Monet de cet hiver

Monet

24 janvier 2011, l’expo Monet du Grand Palais…
 
 
 Il fallait l'avoir vue, c'était celle qu'il ne fallait pas manquer, unique, exceptionnelle, qui ne se répètera pas avant trente ans. Il fallait y aller, sous peine de croupir dans une ignorance crasse de provinciale. Alors elle prend ses billets coupe file (provinciale, mais quand même !), ameute quelques étudiants assoiffés de références à citer aux concours et se dirige vers la capitale aux mille lumières.


Les billets sont pour 19h30, il fait froid mais il ne pleut pas. C'est le dernier jour, l'expo ferme ses portes ce soir. Une file interminable, plusieurs centaines de mètres, s'étire le long des bâtiments. Ce sont les visiteurs de dernière minute, les impulsifs, les imprévoyants, les inconséquents, ceux dont internet est en panne, bref, ceux qui espèrent un miracle. Et il en faudra un, de miracle, pour qu'ils puissent rentrer.

19h. Déjà la queue des visiteurs avec billets pour 19h30 se forme. Elle a bien fait d'être en avance (par hasard à vrai dire). Le service d'ordre est bien en place, pas question de resquiller, de jouer les distraits impénitents : les impétrants sont remis gentiment mais fermement dans le droit chemin et dans la bonne queue. Tout cela sous le regard narquois de ceux qui attendent (elle au premier rang) sagement l'autorisation pour bondir vers la terre promise, le Saint Graal, vers Monet superstar. Ses étudiants sont en retard, ne voulant pas, sans doute, perdre une minute à étudier les constantes des algorithmes ou le plan de sauvetage des banques de la dernière crise financière.

 19h35. Nous sommes toujours à attendre. Dans la file on discute un peu, entre futurs privilégiés de la culture : « Il parait que les cadres sont d'époque, mais certains très laids... Avez-vous vu celle de Gauguin à Londres, il parait qu'elle était superbe ?... » (là, elle se la joue un peu car elle y est allée)... Elle admire les bâtiments, c'est beau, simplement beau. De cette beauté universelle, qui vous plonge dans une émotion esthétique et qui ne dépend ni de votre condition sociale ni de votre culture générale, la promesse d'un bonheur partagé*. Mais n'est donc pas ce que toute cette foule attend de l'expo qui se fait tant désirer ?
 Ses étudiants arrivent enfin. Elle les fais passer discrètement avec elle afin qu'ils ne se fassent pas huer par ceux qui attendent.

 19h40. Les vigiles les laisse passer. A la sécurité, le garde est trop occupé à plaisanter avec sa fille et ses amis pour prêter attention à son petit couteau Laguiole qui dort au fond son sac.
 Ils sont enfin dans les salles. Première impression : la foule, du monde devant les tableaux, devant les textes affichés aux murs, des gens partout. Impossible d'aller et venir à sa guise. Elle essaie de se repérer, de se raccrocher au peu qu'elle connait sur Monet. Ah, ici un tableau de St Adresse, puis la Normandie toujours et toujours. Elle est en terrain connu. Puis Belle Isle, le hameau de Domois. Ses tableaux en cadre champêtre qu'il a eu tant de mal à faire accepter. Là, quatre vues de la Tamise exceptionnellement réunies. Des tableaux du monde entier, du Tate, de Chicago, du Met, de NY, etc. d'Orsay bien sûr, mais aussi plus simplement de Lille et plus exceptionnellement de Moscou. La vue se brouille tellement il y en a. Trop de Monet tue Monet.
Et toujours cette foule qui se presse... Elle a du mal à ressentir cette émotion qui l'a saisie tout à l'heure devant les bâtiments du Grand Palais.
Mais qui est elle, elle, après tout, pour critiquer ? Pour avoir cette envie iconoclaste d'enlever les toiles de leur cadre et de les accrocher tout simplement par quatre clous sur un mur, seule, sans personne autour.
Non décidément, ces grandes expositions ne sont pas pour elle. Impossible de déguster, de savourer chaque bouchée. Elle voudrait de la grande cuisine et on lui propose de la restauration rapide. Une orgie, alors qu'elle voudrait un dîner aux chandelles.
Et pourtant, c'est possible de savourer par petites touches, et sans être parmi les privilégiés qui ont eu droit aux visites privées.
Elle a eu ces émotions en allant au musée Marmottant qui, lui aussi, avait son expo Monet. Le musée est dans un ancien pavillon de chasse assez petit pour qu'on s'y sente chez soi, meublé légèrement en style empire d'époque. C'est assez intime pour avoir l'impression d'être en visite chez un (très) riche oncle. Et là, on peut vraiment déguster les œuvres du peintre à petites doses, tourner, revenir, s'appesantir sur une toile qui vous touche, passer d'une meule à l'autre, retourner comparer les nymphéas...
Et puis, luxe du luxe, là bas, elle a vu « Impression, soleil levant » cette toile de qui presque tout est parti, cette toile connue dans le monde entier, inestimable, que le musée a refusé de prêter à l'expo qu'elle vient de voir. Hé bien, cette toile, elle l'a eue pour elle toute seule pendant dix minutes et pendant ces quelques instants uniques a eu alors le temps de se l'approprier . Ce n'est pas le must du must, cela ?

 Mais encore une fois, qui est elle, pour oser critiquer ?
Tout cela est bien sûr très subjectif mais dans trente ans, lors de la prochaine expo exceptionnelle et unique de Monet, il n’est pas certain qu'elle fasse le déplacement !

 21h30. Ils quittent les lieus. Dehors commencent à rentrer les invités du cocktail de clôture : mécènes et célébrités... Ses étudiants ont reconnu Ingrid Betancourt... elle, comme d'habitude, ne voit personne.
C'est une autre danse qui commence.

 
 *Stendhal


   Monet2

 

 

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