mercredi 23 mai 2012

Le Havre

 

 

le-Havre.jpg


C'est un film étrange, différent. Il n'est pas resté longtemps à l'affiche. C'est l'histoire d'un jeune d'Afrique Noire qui s'échappe d'un container en transit au Havre, alors que celui-ci emmène d'autres compatriotes pour entrer clandestinement en Angleterre. Il se sauve et se cache. Les services d'immigration sont à ses trousses. Un homme, cireur de chaussures, têtu et obstiné, et d'une exquise politesse, l’aide à échapper à la main implacable de l'administration.

Une chaîne de solidarité se développe alors discrètement, sans chichis et sans grandes phrases. Pas de misérabilisme, pas de musique pour nous arracher des larmes. Les dialogues sont minimalistes, on ne tombe jamais dans le mélo et c'est parfois drôle, comme du Tati. Le film est fait curieusement avec des couleurs un peu atténuées et il est difficile à situer dans le temps, volontairement semble-t-il. Certains visages sont de vraies trognes, on se croirait dans du Zola, les personnages ont la cigarette au bec et lèvent le coude facilement. 

Marcel Marx, le cireur de chaussures, habite dans un quartier populaire du Havre où tout le monde se connait. Une sorte d'espace temps indéfini où la nature humaine va révéler son meilleur côté. Quelqu'un a besoin d'aide et on lui tend la main. Cela parait simple et évident. C'est ce qu'il faut faire et personne ne se pose de questions. Oh bien sûr, il y a quand même un délateur (une main, un rideau qui bouge font brièvement penser à l'Occupation) mais il n'arrivera pas à faire échouer les plans et le jeune ado pourra partir à Londres où se trouve sa mère.

A la lumière de ce film formidablement optimiste et des résultats des dernières élections où on nous a beaucoup parlé d'immigration, la question revient encore : les français sont-ils racistes ? Un petit noyau dur, certainement, mais les autres ? On n'y croit pas. Des hommes et des femmes qui ont peur de l'étranger, oui c'est certain. Mais c’est l’étranger pris dans ce qu'il a d’inconnu, l'étranger que l'on ne connaît pas que l'on pense menaçant. C'est une réaction instinctive. Mais dès que l'étranger a un visage, une voix, un sourire, on retrouve le rapport de l'homme à l'homme, et celui-ci se révèle dans ce qu'il a de plus magnifique et de généreux car « l'homme n'est pas un loup pour l'homme et la violence est une réaction par défaut »*

On quitte ce film gonflé à bloc, réconcilié avec le genre humain et en ayant le sentiment d'avoir fait une chose juste. Curieux, car on n’a fait que regarder passivement. 

 

* La bonté humaine, altruisme, empathie, générosité de Jacques Leconte

Le Havre, un film d'Ari Kaurismaki

Ce billet vous a plu? Pour être averti automatiquement à chaque nouvelle diffusion sur le blog, inscrivez vous à la Newsletter !

lundi 21 mai 2012

Turbulences

 

Pour Juliette...

 

tubulences.jpg

 

Lorsqu'elle rouvre les yeux, ils sont déjà dans les airs. Elle s'était endormie. L'avion a quitté Gatwick en douceur et elle ne s'en est même pas aperçue.  Le vol est court, 1h30 seulement. Il ne sera pas troublé par un repas ou un snack car c'est un vol low cost. Elle se met à lire. Une famille est assise dans la rangée devant elle. Ils rient et échangent des plaisanteries. 

Le signe lumineux s'allume. Il faut attacher sa ceinture. La routine. L'hôtesse vérifie que tout le monde a bien obéi. L'avion secoue un peu. Elle continue à lire. Et puis cela secoue plus fort. Elle arrête de lire et ferme les yeux. Cela secoue vraiment fort. L'avion monte et descend. Elle est dans un ascenseur qui dégringole du 20e étage. Son estomac se révolte. La rangée devant s'amuse et rit. Cela défile dans sa tête. Elle n'a pas dit au revoir à ses enfants. Mais il n'y a pas de réseau dans les airs. Elle ne pourra pas envoyer de texto. Mais pourquoi n'ont-ils pas pris l'Eurostar ? Et puis, ces avions de compagnies low cost, on entend toujours des histoires affreuses à leur sujet. Mais non c'est stupide, on a bien plus de chance de mourir sur la route. Les statistiques le prouvent. Oui, mais, les statistiques... Pourtant, elle n'a jamais peur en avion, elle est juste malade quand on la secoue comme une bouteille d'Orangina. Et si on nous cachait quelque chose ? Et les enfants devant rient toujours. Elle les déteste. Elle déteste aussi son mari assis à côté d'elle qui continue à lire comme si de rien n'était. C'est bien simple, elle déteste tout le monde et elle veut mourir. C'est infernal, c'est odieux et cela ne s'arrête pas. Elle consulte sa montre. D'après l'horaire, il y en a encore pour trente minutes. Elle ne tiendra pas.

Elle entend enfin l'ordre de se préparer à l'atterrissage. Ils ont gagné du temps sur l'horaire. Trop tard, elle hait la terre entière et a juste envie de s'allonger et de mourir là, dans la plus grande misère du monde. Une hôtesse vient attraper un paquet dans un compartiment à bagage. Elle a le temps de voir écrit « body fluid...» Un passager a été vraiement malade. Au moins elle a évité cet ultime humilation. Elle mourra dignement et discrètement.

Et puis c'est la délivrance. Les portes s'ouvrent, ils sont au dernier rang, en queue (erreur qu’elle ne refera pas car on y est plus secoué) et ils sortent les premiers. C'est fini, elle est sauvée. Elle consent à vivre mais refuse de penser à la prochaine fois. 

 

 

Ce billet vous a plu? Pour être averti automatiquement à chaque nouvelle diffusion sur le blog, inscrivez vous à la Newsletter !

mercredi 16 mai 2012

Histoire d'eau

Maurice5.jpg

Plage publique du Morne, au sud de l'île Maurice.

C'est dimanche et les mauriciens sont à la plage, en famille par groupe de dix ou quinze. Ils se connaissent tous un peu. C'est petit, l'Ile Maurice. Eux décident de s'installer devant le grand hôtel voisin. A Maurice, toutes les plages sont publiques. Il n'empêche, le garde les a à l'œil. Comme ils sont blancs, il n'ose rien dire mais il n'est pas sûr que des Mauriciens auraient pu rester. C'est un bel hôtel de luxe avec ses jardins impeccables et ses transats bien alignés. Harmonie et calme. Les serviettes de plage se changent toutes seules, les pinas coladas vous arrivent joliment décorés et il n'y a pas une feuille de palmier qui dépasse. À côté, sur la plage publique, c'est plus bruyant, les chaises sont en plastique et on doit aller passer sa commande au bar. Mais on a alors une petite chance d'entrevoir le vrai visage de Maurice.

Il fait très chaud et le temps s'étire paresseusement. L'eau est belle et transparente. Elle part nager. Il y a beaucoup de courant. L'eau brille dans le soleil et elle est peu profonde. Elle aperçoit un gros oursin violet à moitié caché dans des rochers. A cause du courant, les fonds éclaboussés de soleil semblent avoir leur vie propre.

Le lendemain, une toute petite journée après, elle nage dans la piscine municipale de sa ville. Elle repense à ces graines de soleil. À travers ses lunettes elle voit les carreaux bleus et blancs du fond de la piscine. Elle essaie d'éviter les jambes grêles des ados qui s'agitent dans la ligne d'eau voisine. Des centaines de bulles d'air se chargent de la lumière qui passe à travers les vitres. Et en faisant ses longueurs, elle se rappelle le bel oursin violet et le jeu des rayons du soleil dans l'eau transparente et pure de l'océan indien.

C'était seulement hier mais cela semble déjà loin.

Ce billet vous a plu? Pour être averti automatiquement à chaque nouvelle diffusion sur le blog, inscrivez vous à la Newsletter !